Anne Poiré

Interview de l'auteure Anne Poiré par Emmanuel Richer

Anne Poiré

1/Quelques mots pour te décrire ?Il paraît que la couleur et l'excentricité me résument de façon assez juste. J'ai publié par exemple des histoires dans lesquelles les héros portent des prénoms colorés comme "Cyan@Volubilis" aux éditions d'un Monde à l'Autre. Ou encore Emeraude-Stella : l'héroïne de mon roman sur l'Histoire de la Lorraine et l'anorexie, "Le goût des glaces", publié au Verger des Hespérides, a en plus un père peintre... Quant aux excentricités, je pourrais peut-être renvoyer mes lecteurs au portrait de Madame Galion dans "Le journal de ma soeur" paru au Seuil, personnage que l'on retrouve d'ailleurs aussi dans "Le goût des glaces" ! Ou dois-je parler de "L'abécédaire des animaux" paru aux éditions Carmina en 2011, très coloré, et surtout, assez humoristique, avec ses proverbes décalés, comme "Un Zèbre mangeant du Zan doit parfaitement se laver les dents" ? 
Ah, j'oubliais, je suis aussi prolixe : la taille de ma réponse en témoigne. 
Et ma bibliographie : une bonne quarantaine d'ouvrages publiés, dans des domaines très variés, sans oublier mes nombreux inédits toujours en quête d'une douce, accueillante et éclatante maison d'édition ! 
2/Avant d'être auteure, quelle est ta formation de base ?Je ne crois pas que mes études hautement littéraires aient joué un rôle dans le fait que j'écrive des livres. Les mots m'habitent au-delà de toute formation. Depuis toujours. J'ai aimé lire, écrire, peut-être déjà dans le ventre de ma mère qui sait ? Mes diplômes n'ont été qu'un moyen de trouver un métier, afin de gagner ma vie, à un moment donné...  J'évoque cette question de la vocation de l'écriture, cette évidence, dès l'enfance, dans le recueil de nouvelles paru aux éditions D'Un Noir Si Bleu, "La maison de l'écrivain", et notamment dans le texte "L'école de la rue de la Liberté". C'est vraiment sûr, avant tout... je suis d'abord auteure ! 
3/Quand t'es-tu lancée à plein temps dans l'écriture ? Qu'est-ce qui t'a décidée ?
Je vis totalement de l'écriture - et de la peinture, des illustrations et de la sculpture, avec Patrick Guallino, mon prince charmant - seulement depuis une petite dizaine d'années. C'est très difficile, même quand on est passionné... Comme je ne suis pas rentière, au début, il m'a fallu assurer le revenu de notre couple, en acceptant un travail qui me plaisait beaucoup, certes, mais qui s'avérait surtout alimentaire. Ce qui m'a décidée à quitter la sécurité des revenus assurés, c'est l'approche de la quarantaine : je ne voulais pas passer à côté de l'essentiel, toute ma vie, sous prétexte qu'il fallait manger. J'écrivais déjà beaucoup avant puisque j'ai vu naître mon premier poème vers neuf ans, puis un roman l'année suivante. Mais je bénéficiais de bien moins de temps... À un moment donné, la nécessité intérieure a été la plus forte. 
4/Quels sont tes hobbies à part l'écriture ?Pour moi l'écriture n'est pas un hobby. C'est une nécessité, aussi importante que l'air que je respire, ou l'eau que je bois. Je vis dans la création tout le temps, jour et nuit, trois cent soixante-cinq jours par an. L'écriture m'accompagne vraiment au quotidien ; en ce sens, je n'ai pas de hobby car je suis trop emplie par la création pour avoir le temps de me consacrer à d'autres activités. J'ai mis en scène cet aspect essentiel avec le personnage du père de mon héroïne, dans "Le goût des glaces" : la peinture est une nécessité intérieure qui l'occupe à plein temps. 
5/Quels plaisirs trouves-tu en écrivant ?Celui de la découverte : je suis toujours surprise de ce qui vient de jaillir. Et comme je suis curieuse, je continue de créer... 
Quel luxe, d'être écrivain : je peux devenir un petit garçon comme dans "Le journal de ma sœur" alors que je suis une fille... et j'ai la possibilité, par l'écriture, de tester des situations, rattraper ce que j'ai raté dans la "vraie vie", je peux métamorphoser le réel, jouer, rire de tout. J'extériorise, j'intériorise... 
Ce sont des satisfactions différentes lorsque j'écris de la poésie, comme "Câline école", publié par Soc&Foc, ou du théâtre tel le sketch "Elle est nulle ta pièce" (chez ABS). Rédiger un roman plus long, comme "Papi Jeannot" (à paraître en 2012 au Verger des Hespérides) apporte la satisfaction de construire un récit émouvant et captivant, avec des rebondissements inattendus, puisqu'il est question d'un secret de famille et de la relation entre un petit-fils et son grand-père. Alors que la réécriture d'un conte, comme "Le Petit Chaperon vermillon" ( à paraître dans les semaines à venir aux éditions de la Paix, au Canada), suppose jouer avec des codes. J'ai aimé détourner des références communes à tous. Surtout pour développer l'idée du pacifisme et du danger des armes... Le seul point commun à tous les textes que j'écris, finalement, c'est le plaisir. Et la question du style : une fois le fil conducteur mis en place, je jubile, à l'idée de réécrire, de travailler, inlassablement. Je peux passer des heures à chercher des synonymes, à rayer des passages entiers, à utiliser des périphrases ou à changer la ponctuation... La langue est une merveilleuse matière et j'ai plaisir à la sculpter ou à l'utiliser comme un peintre, par touches successives, en variant l'épaisseur du trait, en transformant les effets aussi. Je passe du portrait au dialogue, du récit à la description, j'explore la palette des sentiments... J'aime la liberté qui m'est ainsi offerte. 
6/Est-ce un besoin d'écrire et de créer ?Oui. Il est si difficile d'en vivre que si ce n'était pas le cas, je ferais autre chose, depuis longtemps. Mais en même temps, le plaisir est tellement intense que l'on ne peut plus s'en passer, quand on commence à créer. Chaque idée nouvelle se déploie en dix, vingt autres projets. Mon souci, c'est le manque de temps : comment parvenir à concrétiser toutes les idées qui vagabondent dans ma tête, comment trouver à les matérialiser, alors qu'une journée se limite toujours à 24 heures et qu'en plus je suis une grosse dormeuse ! Sans compter le fait que même si je suis d'abord écrivain, passionnée par les mots, je peins, illustre et sculpte avec Patrick... ce qui multiplie mes activités. Et il me faut encore mettre à jour nos deux sites, l'un plus littéraire, l'autre plus graphique, ce qui peut-être constitue aussi une forme de création ? http://annepoire.free.fr/   et http://perso.orange.fr/art.guallino  
7/Quel est ton genre/ support préféré de création littéraire, en tant qu'auteure ? En tant que lectrice ?Je ne peux distinguer la lectrice et l'auteure : j'écris pour avoir le bonheur de lire... je lis pour continuer à éprouver le bonheur de la création, les deux se nourrissent indéfiniment. Je me délecte surtout de romans plutôt réalistes, mais aussi beaucoup de poésie. En réalité, je dévore la littérature : promenade ininterrompue, galop des mots, au minimum un livre par jour, toute l'année, souvent plusieurs... Je n'ai pas un genre préféré, ce qui me séduit, c'est le style, la façon dont on raconte, bien plus que l'histoire elle-même. Je m'intéresse à la manière dont un écrivain explore nos fragilités, rend le monde habitable, lui redonne toute sa féerie... De même, lorsque j'écris, j'espère parvenir à donner des pistes d'espoir à ceux qui ont été cabossés par l'existence, par exemple avec mon livre "Histoire d'une schizophrénie" aux éditions Frison-Roche, ou des raisons de s'envoler, comme dans mon recueil poétique "Feu d'artifice" (Tournefeuille éditions). 
8/Parmi ton oeuvre, qu'est-ce qui te rend la plus fière ?Je crois que le mot "fierté" est inapproprié. En même temps, si, tu as sans doute bien choisi cet adjectif : je suis comme une mère devant sa progéniture, à rougir de plaisir quand on m'adresse un compliment : "Quel beau bébé !" "Et en plus il parle !" "Ah, mais maintenant, il marche..." J'ai donné naissance à une famille nombreuse qui me plaît dans sa diversité. Chacun de mes titres, publié ou inédit, contribue à l'équilibre familial. J'aime chacun de mes enfants pour des raisons différentes : "Tous les chats" (éditions Lelivredart), parce que c'est une petite histoire toute simple, rédigée en français, mais aussi en anglais et en espagnol, rendue touchante par son cadre chatoyant d'album pour enfant mâtiné d'art et de créativité. "Les couleurs du bonheur", parce que c'est un livre très coloré, et poétique, "Câline école" parce que l'hommage aux quatre saisons d'une vie scolaire est utile dans un monde qui critique trop souvent l'enseignement alors qu'on doit tellement à ceux qui nous ont ouvert les portes de la connaissance... J'aime aussi mes livres qui s'adressent à des adultes, comme le prochain, à paraître chez Kirographaires fin février 2012, "Encore un suicide". Ce sont différents aspects de ma vie qui sont ainsi traduits en imaginaire, en émotions, en invention langagière... et j'aime cette profusion et cette diversité, non pas avec fierté, mais étonnement, chaque fois surprise que "ça" soit sorti de moi... 
Ce n'est pas une question d'orgueil. Mais de joie. En toute simplicité. 
Grâce à mes livres, j'ai déjà vécu des situations enthousiasmantes, qui me portent haut, m'incitent à continuer, et ce sentiment, ce bouillonnement, est vraiment magique. Par exemple, lorsque "La Cantate de la Loire" (éditions Symétrie) a été mise en musique par Jean-Marie Morel, avec plus de 130 exécutants, chanteurs et musiciens, j'ai eu des frissons jusqu'à la racine de mes cheveux : c'était comme si mes mots s'amplifiaient, se transformaient, portés par les notes. J'avais déjà vécu cette expérience grâce au compositeur Olivier Faes : "Périple de brocart" (Gros Textes éd.) est devenu un tout autre poème, transfiguré grâce aux notes, grâce à la mezzo soprano qui interprétait la partition, et au violoncelle qui l'accompagnait... 
Un autre grand moment, c'est la remise de mon premier Prix littéraire, le Ruralivres pour "Le journal de ma soeur". Par chance, cette récompense était décernée par de vrais lecteurs, des centaines de jeunes, qui m'ont parlé avec émotion de mes personnages, de la situation et de la relation entre Patrice et sa soeur. Après des années de solitude en tant que poète, je découvrais soudain des amateurs, en chair, en os et en tendresse. J'ai adoré ce contact ! C'est d'ailleurs ce qui me plaît lorsque je suis invitée par des écoles, des médiathèques, lors de salons du livre, pour des rencontres avec le public. Cette chaleur humaine est irremplaçable, d'autant plus que dans la création, on passe de longues heures, seul face à sa feuille. Là, soudain des lecteurs sont présents, et ces retours me font toujours beaucoup de bien. D'ailleurs, j'aime glisser les courriers de ceux qui me parlent de mes livres sur mon site. N'hésite pas à me faire part de tes réactions... 

Interview d'Emmanuel Richer


Les liens - Voici l'adresse de mes deux sites :
Prochaines parutions :
- pour adultes : "Encore un suicide" éditions Kirographaires février 2012
- en direction de la jeunesse, et au moins jusqu'à 117 ans : 

Le Journal de ma soeur

    - "Le Petit Chaperon vermillon" éditions de la Paix printemps 2012
    - "Papi Jeannot" éditions Le Verger des Hespérides 2012

Prochains événements :
Lectures et expositions, rencontres dans la Sarthe. "Anne Poiré et Patrick Guallino de A à Z"
A B C D E"le bestiaire enchanté" vous rendra heureux... 
à la bibliothèque de Saint Cosme en Vairais
rencontre avec Anne Poiré et Patrick Guallino le mercredi 29 février à 15 heures.

F G H I J K L"instants de bonheur", déployez vos ailes !
à la bibliothèque de La Suze
rencontre avec Anne Poiré et Patrick Guallino le vendredi 2 mars à 18 heures. 

M N O P Q R "paysages intérieurs, féeries extérieures" : à vos commentaires ! 
à la bibliothèque d'Aubigné-Racan
rencontre avec Anne Poiré et Patrick Guallino le samedi 3 mars à 9 heures. 

-       S T U V W X Y Z "du soleil au zénith" : tous les voyages nous aident.
à la bibliothèque d'Yvré l'Evêque
rencontre avec Anne Poiré et Patrick Guallino le samedi 3 mars à 15 heures.

Les quatre expositions seront rassemblées 
les 10 et 11 mars au Salon de La Suze. 
Salon des livres de poésie et de ceux qui les font

Et j'y serai, en compagnie de Patrick Guallino et d'autres poètes...

5 commentaires:

  1. Merci Mélanie pour la rapidité de mise en ligne. Bravo pour ce site et cette heureuse initiative.
    Un grand sourire...

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  2. Et puis ce dimanche 29 janvier je serai dans l'Ain, à Trévoux, toute la journée, pour un salon de la littérature jeunesse. Si j'oublie les rendez-vous proches, ce n'est pas sérieux ! Venez nombreux...

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  3. Laura m'a écrit sur Facebook (grâce au lien avec cette adresse) :

    Extra ton interview par la Charte ! :)

    Je ne peux pas ne pas recopier ce commentaire ici.

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  4. J'ai le souvenir d'un compagnonnage avec Anne Poiré lors d'un salon désastreusement ignoré par le public à Tournus au printemps dernier... Pas de public mais de jolis bavardages, et un "ciel inattendu" toujours accroché au-dessus de mon bureau. Coucou, Anne !

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  5. Hello Anne, quel plaisir de te retrouver là ! Je vois la vie en bleu aquarellé, type voyageuse poétique, quand je repense à toi, est-ce que je me trompe ? Un grand sourire, et qui sait... peut-être à bientôt, sous d'autres cieux !

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